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vendredi 1 mai 2015

La Maison-Hôte




C'est une oasis au coeur d'un naufrage
Battu par la vague un vaisseau de pierre
Un ilot rongé par des eaux sauvages
L'épaisseur du temps qui tombe en poussière


On dirait parfois lorsque vient l'automne
Un géant vêtu d'un manteau de nuit
Qui viendrait surgir d'un rideau de pluie
Chercher un abri dans l'air qui frissonne


Des flèches hissées sur un toit d'argent
Dressées vers le ciel comme des haubans
Font claquer le vent et gonfler les voiles
Et chanter l'embrun venu des étoiles


L'hôtel est construit de brique et de grès
Ses murs patinés par le poids des ans
Gardent la splendeur des palais persans
Et le charme obscur des manoirs anglais


Ses volets de fer se ferment le jour
Sur de lourds secrets qui fuient la lumière
Et s'ouvrent la nuit comme des paupières
Encore assoupies par des rêves sourds

                   *
Peuplés du souvenir venu d'un autre temps
D'un chant d'amour funèbre étrange et envoûtant :
« Approche-toi ma belle, approche toi mon beau
Viens te brûler les ailes au feu de mon flambeau »

                   *


Aux heures blessées quand la nuit se farde
De haillons dorés et de riches hardes
On vient éclairer de grands candélabres
Dans la main gantés des statues de marbre

Alors le jardin soudain se rallume
Viennent y danser de chastes lucioles
Des elfes pervers et des nymphes folles
Sous l'éclat changeant d'un rayon de brume

De longs messieurs noirs et des dames blanches
Se tenant à deux par le bout des manches
Grimpent en silence et sur le perron
Un laquais poudré leur demande un nom


Si le code est faux, un guerrier mauresque
Armé d'un bâton les jette à la rue
Si le code est bon, l'huissier les salue
Et les fait entrer en les poussant presque

                     *
Ils marchent dans la salle ornée d'un monogramme
Au son des tambourins et des violons tsiganes
Et vont glisser leurs pas dans ceux de la pavane
« Belle qui tiens ma vie, c'est moi qui tiens ton âme »
                     *

Ils jouent les chasseurs à l'abri d'un masque
Et guettent leur proie dans la nuit fantasque :
Un danseur de charme ou une hétaïre
Qu'ils vont incendier des feux du désir


Juste au dessus d'eux, les gens de la lune
Aux jeux du hasard perdent des fortunes
Sur un brelan d'as et deux figurines
L'un saisit sa chance et l'autre se ruine



L'étage plus haut cache un lupanar
Qui sert de refuge aux amours profanes
Des grands de ce monde et des courtisanes
Sous le faux décor d'un temple barbare


L'escalier qui suit conduit aux mansardes
Où vit en secret la troupe gaillarde
D'un prince des rues et ses saltimbanques
Des bandits manchots, des pilleurs de banque


On entend parfois venant du sous-sol
Lorsque la musique un instant s'arrête
Un cri qui s'échappe, une plainte folle
Une âme piégée au coeur de la fête

                  *
Et dans un dernier souffle une voix qui chavire :
« Viens-t-en me secourir ou me faudra mourir »
Passant qui entre ici pour conjurer tes fautes
N'attends pas de merci depuis la Maison-hôte
                 *


Charles Valois mai 14
(L'assassin, travail en cours)