Dans la fontaine aux innocents
Sur le coup de midi quand le carillon
sonne
Les amants de Vérone et les mariés du
jour
Au vent de leur amour jettent des ronds
dans l'eau
Des monnaies de moineaux, des piécettes
d'argent
De cuivre et d'étain blanc. Il y en a
des centaines
Au fond de la fontaine. Ils semblent
sommeiller
Midi les fait briller de mille éclats
vermeils
Aux reflets du soleil, dans les remous
de l'eau
Et comme un camelot qui brasse des
promesses
Au bras d'une princesse il est des
troubadours
Qui sèment de l'amour les serments
écarlates
L'or volé d'un pirate, un trésor
englouti
La fontaine est
bâtie en marbre de Carrare
Ornée de
nénuphars et sculptée d’angelots
Qui font jaillir
de l'eau de poissons et d'amphores
Coulant de bord à
bord dans les bassins versants
Vers la fontaine aux innocents
A la tombée du jour les oiseaux du
quartier
Accourent en nuées des jardins
alentour
Il en vient de partout, des arbres et
des toits
Etourdis de rosée, tour à tour, ils
se posent
Il y a des rossignols et des
bergeronnettes
Des fauvettes grison et des
chardonnerets
Qui plongent de la tête en secouant
les vasques
Et font des vagues d'eau, fantasques,
polissonnes
La petite marmaille agacée s'y
chamaille
On se chasse de l'aile, on se pique du
bec
On reprend sa querelle oubliée de la
veille
Et vole plume à l'air et la volière
va
La fontaine est
bâtie comme un arbre de pierre
Et dans ses
frondaisons l'eau de pluie recueillie
Par des angelots
clairs en leurs paumes de marbre
Fait des bouquets
de brume à perdre la raison
A la fontaine aux innocents
Sur le coup de minuit d’étranges
pénitents
Faits d'encre et de fumée, de cendre
et de brouillard
Se donnent rendez-vous dans la ville
endormie
A l'heure où vont les fous s’enchaîner
sous la lune
Des ombres de poupées au masque de
faïence
Les menines fripées, des infantes
défuntes
Des spectres de gamins flottant sur la
rivière
Ou traçant de la main des signes à la
craie
Ils vont en ribambelle en habit
d'autrefois
Danser la ritournelle ou se livrer
bataille
Sur des chevaux fluets pour des
châteaux diaphanes
Et s'ils n'étaient muets on entendrait
leurs rires
La fontaine est
bâtie comme un grand carrousel
Que le temps
ralenti a figé dans la pierre
Un manège
immobile entouré d'ombres folles
Où des esprits
subtils aiment rôder la nuit
Sur la place des Innocents
Bien avant la fontaine il y avait un
couvent
On y donnait l'asile au nom de
l'évangile
Et les sœurs de Saint Jean abritaient
quelques heures
Des fils de huguenots pourchassés par
des sots
La Saint Barthélémy y joua d'infamie
Le tocsin rassemblait des hordes
d'assassins
Des cohortes de gueux qui fracassaient
les portes,
Arrachaient les enfants aux bras qui
les cachaient
Le massacre dura jusqu'aux heures de
nacre
Et la nuit résonnait des clameurs et des
cris
Puis le sang qui coulait des yeux des
innocents
Fut lavé par la pluie qui noyait les
pavés
La fontaine est
bâtie pour conjurer les haines
Dont l'écho paie
encore au diable son écot
Pour que l'eau qui
ruisselle au front des angelots
Purifie les
enfants des crimes qu'on leur fit
Charles Valois Août 2014, in L'Assassin (travail en cours)
J'aime beaucoup !
RépondreSupprimerMerci de vos encouragements, Nina
SupprimerMerci de vos encouragements, Nina
Supprimer