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vendredi 11 juillet 2014

Les dagues douces




Où sont passées les dagues douces
Qui glissaient comme des murènes
Dans les limbes de la nuit rousse
Inexorables souveraines

Où sont les inquiétants sourires
Des poignards aux gorges d'acier
Que des fantômes émaciés
Cachaient sous leurs manteaux de cire


Fuyant de rue en rue comme à saute-ruisseau
Elles chassaient leur proie. Leur âme était si noire
Rien ne les reflétait dans l'ombre du miroir
Elles frappaient au vif les naïfs et les sots

Elles cueillaient la nymphe au sortir de son bain
Arrachaient l'ingénu aux bras de la luxure
Fauchaient le renégat, le menteur, le parjure
Et sevraient le bourgeois du surplus de son bien

Lame de peu de foi sans attache et sans loi
Dont le corps adulé, tendu comme une corde
Achevait les blessés d'un geste juste et froid
Sans qu'ils aient pu crier son nom : miséricorde !


Venues du fond des temps, où sont les lames pures
Du sang de celles qui, sur les champs de bataille
Allaient se fracasser sur le fer des armures
Pour la gloire d'un roi, au pied d'une muraille


Où sont passées les dagues douces
Qui glissaient comme des murènes
Dans les limbes de la nuit rousse
Inexorables souveraines


Si furtives qu'à peine on aurait dit des armes
L'Eustache au cœur d'acier, au manche en bois de charme
Qui sautait sans un bruit dans la main des apaches
Et tranchait dans le rouge avec un air bravache

Le treizain du marlou, le surin du voleur
Qui pour trouver fortune équarrissait les heures
Navaja l'espagnol, aussi glacé qu'un marbre
Large comme la main et tranchant comme un sabre

Le stylet malicieux à la pointe acérée
Qui filait droit au cœur et venait s'y figer
Et Kriss le malaisien, sa lame flamboyante
Laissait dans les chairs nues des marques effrayantes

Toujours prêts à bondir d'un pourpoint, d'une chausse
Pour abattre un tyran, basculer dans la fosse
Les destin des nations, récrire avec du sang
L'histoire abasourdie des peuples innocents


Où sont les inquiétants sourires
Des poignards aux gorges d'acier
Que des fantômes émaciés
Cachaient sous leurs manteaux de cire

Couteaux de marins saouls rouillés à l'air du port
Lames d'acier trempé d'un pur métal de mort
Forgées par des voyous, possédées par des fous
Gainées de soie sauvage ou de cuir de Cordoue

Il en est dont le fil est si sobre et subtil
Qu'on meurt sous leurs baisers sans s'être vu blessé
Il en est dont la taille est si rauque et si vile
Qu'elle mord dans la plaie sans jamais se lasser


Certaines sont ornées de fines arabesques
Les mots d'une prière ou ceux d'un chant mauresque
D'autres portent parfois sur une mitre ovale
Gravée comme un totem : une queue de crotale


Filles du maléfice, où sont les lames brunes
Qui savent lire en creux les messages des runes
Et l'athamé traçant de sombres pentagrammes
Dans la cendre de buis pour le repos des âmes



Où sont passées les dagues douces
Qui glissaient comme des murènes
Dans les limbes de la nuit rousse
Inexorables souveraines


Où sont les inquiétants sourires
Des poignards aux gorges d'acier
Que des fantômes émaciés
Cachaient sous leurs manteaux de cire


Charles Valois Juillet 2014 (L'Assassin)

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