Il est minuit passé dans le jardin des montres
Et les heures perdues s’en vont à la rencontre
Des ombres de la nuit et leurs lames d’acier
Chaque arbre est une horloge avec son balancier
Sous la lune en prison dans un ciel de faïence
Un cadran bleu d’émail et des chiffres de fer
L’horloger de Saint Jean va régler la cadence
Entre le temps qui passe et le temps qu’il va faire
Armé d’un chasse-temps et d’un casse-culbute
Il comptera le pas régulier des minutes
Qui s’écoulent chacune en soixante virgules
Et font battre le pouls singulier des pendules
1-2-3 la trotteuse aux abois
Qui s’était épatée dans les bois
Clopinant sur trois pieds, sur deux pattes
Sur un pas saccadé d’automate
1-2-3 la comptoise aux aguets
Qui comptait sur ses doigts ses acquêts
Ses amants délicats délinquants
Des galants décatis par le temps
1-2-3 la comptine est en toc
On entend grelotter ses breloques
Taquiner ses taquets métalliques
Déglinguer ses ballets mécaniques
Dans le coeur d’une montre il y a des secrets
Un ressort qui s’épuise à vouloir que le temps
Remonte sans ombrage à l’abri des regrets
Que la roue du remords ne morde pas dedans
L’horloger de Saint Marc au jardin d’Amaranthe
Ecoute soupirer ces amours impatientes
Qui se voyant jolies se croyaient éternelles
Mais dont jour qui vient désèche les dentelles
Et le jour qui s’en va moisonne leur poussière
D’un pinceau désolé, il efface leurs larmes
Remet un peu d’or pur sur le gris de leurs trames
Pour que jusqu’à la nuit s’accroche la lumière
Comme un petit train qui trottinambule
Le long du cadran à compte-virgule
A compte-minute un long chenillard
Fait le tour d’une heure en soixante gares
On y voit passer de lents paysages
Qui tournent en boucle autour du manège
Et des voyageurs aux sombres visages
Rêvant en secret de quitter leur piège
Une nymphe douce au coeur langoureux
Une cavalière en cuir de Cordoue
Un bel androgyne aux yeux charbonneux
Un fin muscadin caché sous un loup
Tous avaient cru pouvoir s’échapper loin d’ici
L’homme aux cheveux de lion qui parlait aux chimères
Et l’aigle des nuées, le philosophe assis
Dont les mots s’envolaient bien au delà des mers
Ils rêvaient de partir vers des terres lointaines
Et de s’y perdre enfin. Mais voilà que l’automne
A refermé sur eux les maillons de ses chaînes
Le temps les a repris. Le temps n’oublie personne
Inexorablement les roues de l’engrenage
Entraîne les forçats au pas du métronome
Et ils ne dorment plus. Le cours de leur vie d’homme
S’écoule mécanique, impeccable et sans âge.
Assommés debout, un démon les tourmente
Lorsque les pieds liés et chargés d’entraves
De leurs voix éraillées monte un chant d’esclave
Libre et torturé, pareil à l’eau courante
Heurtant les murs, fous de colère et de rage
Ils font trembler la charpente en bois debout
De l’horloge et frappant sur un mangeclous
Ils font sauter tous les verrous de leur cage
Alors, dans un bruit de chahut mécanique
On entend craquer les montants de métal
Et grincer le ressort à gueule en spirale
Qui expire à minuit son dernier déclic
L’horloger de Saint Pierre apaise leur tourmente
Donne des tours de clé, rajuste dans sa loge
Chaque pièce égarée, tordue, cassée, manquante
Et l’ordre règne enfin dans le coeur de l’horloge
Les aiguilles d’airain reprennent leur cadence
Cliquetant doucement. Et les heures se croisent
Au rythme nonchalant d’un menuet qui danse
Les battements du temps sont passés sous la toise
Les amoureux vaincus qui rêvaient d’insouciance
Tremblent sous le maillet d’un maître mécanique
Résignés, le coeur vide, ils marchent en silence
Et sans se retourner vers leur destin tragique
(CV 7 Août 2015)
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