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vendredi 8 août 2014

La Fontaine aux innocents




Dans la fontaine aux innocents
Sur le coup de midi quand le carillon sonne
Les amants de Vérone et les mariés du jour
Au vent de leur amour jettent des ronds dans l'eau
Des monnaies de moineaux, des piécettes d'argent

De cuivre et d'étain blanc. Il y en a des centaines
Au fond de la fontaine. Ils semblent sommeiller
Midi les fait briller de mille éclats vermeils
Aux reflets du soleil, dans les remous de l'eau

Et comme un camelot qui brasse des promesses
Au bras d'une princesse il est des troubadours
Qui sèment de l'amour les serments écarlates
L'or volé d'un pirate, un trésor englouti


La fontaine est bâtie en marbre de Carrare
Ornée de nénuphars et sculptée d’angelots
Qui font jaillir de l'eau de poissons et d'amphores
Coulant de bord à bord dans les bassins versants


Vers la fontaine aux innocents
A la tombée du jour les oiseaux du quartier
Accourent en nuées des jardins alentour
Il en vient de partout, des arbres et des toits
Etourdis de rosée, tour à tour, ils se posent

Il y a des rossignols et des bergeronnettes
Des fauvettes grison et des chardonnerets
Qui plongent de la tête en secouant les vasques
Et font des vagues d'eau, fantasques, polissonnes


La petite marmaille agacée s'y chamaille
On se chasse de l'aile, on se pique du bec
On reprend sa querelle oubliée de la veille
Et vole plume à l'air et la volière va


La fontaine est bâtie comme un arbre de pierre
Et dans ses frondaisons l'eau de pluie recueillie
Par des angelots clairs en leurs paumes de marbre
Fait des bouquets de brume à perdre la raison


A la fontaine aux innocents
Sur le coup de minuit d’étranges pénitents
Faits d'encre et de fumée, de cendre et de brouillard
Se donnent rendez-vous dans la ville endormie
A l'heure où vont les fous s’enchaîner sous la lune


Des ombres de poupées au masque de faïence
Les menines fripées, des infantes défuntes
Des spectres de gamins flottant sur la rivière
Ou traçant de la main des signes à la craie


Ils vont en ribambelle en habit d'autrefois
Danser la ritournelle ou se livrer bataille
Sur des chevaux fluets pour des châteaux diaphanes
Et s'ils n'étaient muets on entendrait leurs rires

La fontaine est bâtie comme un grand carrousel
Que le temps ralenti a figé dans la pierre
Un manège immobile entouré d'ombres folles
Où des esprits subtils aiment rôder la nuit


Sur la place des Innocents
Bien avant la fontaine il y avait un couvent
On y donnait l'asile au nom de l'évangile
Et les sœurs de Saint Jean abritaient quelques heures
Des fils de huguenots pourchassés par des sots

La Saint Barthélémy y joua d'infamie
Le tocsin rassemblait des hordes d'assassins
Des cohortes de gueux qui fracassaient les portes,
Arrachaient les enfants aux bras qui les cachaient

Le massacre dura jusqu'aux heures de nacre
Et la nuit résonnait des clameurs et des cris
Puis le sang qui coulait des yeux des innocents
Fut lavé par la pluie qui noyait les pavés


La fontaine est bâtie pour conjurer les haines
Dont l'écho paie encore au diable son écot
Pour que l'eau qui ruisselle au front des angelots
Purifie les enfants des crimes qu'on leur fit



 Charles Valois Août 2014, in L'Assassin (travail en cours)





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