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dimanche 30 novembre 2014

Des choses ordinaires

« Tu me dis : Laisse un peu l'orchestre des tonnerres
Car par le temps qu'il fait il est de pauvres gens
Qui ne pouvant chercher dans les dictionnaires
Aimeraient des mots ordinaires
Qu'ils se puissent tout bas répéter en songeant »
Louis Aragon. Ce que dit Elsa




















Je voudrais des choses ordinaires
Des trésors comme on n'en fait plus
Des p'tits bonheurs des p'tites misères
Du tout venant, du tout venu


Des enfants qui jouent dans la cour
Qui viennent à l'heure de la récré
Tracer des marelles à la craie
Et sauter dedans tour à tour

Une fenètre ouverte sur
Un coin de ciel au bout d'un toit
Un chat qui marche sur un mur
Un piaf qui crie à pleine voix


Je voudrais des choses ordinaires
Manger un goûter d'autrefois
Quatre carrés de chocolat
Plantés dans un pain de grand-mère

Et retrouver dans un cartable
Au milieu des livres d'école
Des cahiers rangés à la diable
Un sac de billes, un pot de colle

Je voudrais des choses ordinaires
Des trésors comme on n'en fait plus
Des p'tits bonheurs des p'tit's misères
Du tout venant, du tout venu

Oublier le temps des colères
Des défilés, des barricades
Des grafitis sur les façades
Ne plus crier. Ne pas se taire.

Ne pas dire bonjour à la dame
Tant qu'elle sera aussi méchante
Avec les fleurs de macadam
Qui hantent les rues adjacentes

Les filles de joie, les filles de fesse
Les clodos, les fous, les tchétchènes
Tous ceux qu'elle vomit de sa haine
En trottinant jusqu'à la messe

Préférer des gens ordinaires
Partager sur un coin de table
Le temps d'un poème ou d'un verre
L'instant qui passe insaisissable

Je voudrais des choses ordinaires
Des trésors comme on n'en fait plus
Des p'tits bonheurs des p'tit's misères
Du tout venant, du tout venu

Quand j'en aurai soupé des pignoufs
Des pisse-froid, des pouss'mégots
Des mythos, des rois de l'esbrouffe
Qui vous retournent le ciboulot

Quand j'aurai bien chauffé ma couenne
Sous leurs étés artificiels
Brûlé pour un coeur de pivoine
Et pleuré des amours virtuels

Je voudrais prendre un train d'hiver
Destination sans importance
Juste histoire de tenter ma chance
Au bout de ce chemin de fer.

Arriver par un matin clair
Au coeur d'une ville inconnue
Se dire qu'il y a tout à refaire
Et tourner au coin de la rue

Pour trouver des choses ordinaires
Des trésors comme on n'en fait plus
Des p'tits bonheurs et des p'tit's misères
Et sourire au premier venu

C.V. 11 Juin 2011


dimanche 14 septembre 2014

Par la voie de la main gauche



Lorsque le soleil s'éteint
Que le monde et ses chimères
Sous le poids d'un ciel d'étain
Se désagrège en poussière

Lorsque le peuple du jour
Usé par des travaux frustes
Trouve le repos du juste
Dans les bras d'un sommeil lourd

Le petit peuple des ombres
Sort de la forêt des nombres
Et réveille sans un bruit
Les feux follets de la nuit

Dans le secret des alcôves
Ils vont dresser des autels
Ils allument des chandelles
Aux flammes orange et mauves

                  Par la voie de la main gauche
                  Je débauche, je débauche
                  Le tracé du pentagramme
                  Qui court au bout de ma lame


Sur le cycle des planètes
Sur la carte aux maléfices
Ou sur la queue des comètes
Ils traquent le triple six

Ils déchiffrent des oracles
Dans des lunes minuscules
Et trafiquent des miracles
Avec trois sous de calcul

Ils forcent la main des astres
Ils inscrivent leur destin
En raturant le cadastre
En passager clandestin

Sous le ciel de la fortune
L'élixir et le poison
Font des enfants de Neptune
Les disciples de Pluton

                  Par la voie de la main gauche
                  Je débauche, je débauche
                  Les mystères du zodiaque
                  Ils font trois tours dans mon sac


Lorsque dans un jet de soufre
Le Maître se manifeste
Ses esclaves se délestent
De leur âme au bord du gouffre

Ils concoctent des substances
Dans des cornues goëtiques
Dont ils vont, sous l'alambic
Exprimer la quintessence

Ivres d’éthers d’ammoniac
Ils récitent des grimoires
Des versets incantatoires
Des cantiques démoniaques

Que pleuve la myrrhe et l'or
Qu'on danse jusqu'à l'aurore
Et que nos festins de chair
Résonnent jusqu'en enfer

                    Par la voie de la main gauche
                    Je débauche, je débauche
                     Les fées de l'Apocalypse
                     Neuf arrive et Trois s'éclipse


Mais l'or se change en poussière
Les amours en feux grégeois
Lorsque revient la lumière
Tout n'est que cendre de bois

Au bal des nécromanciens
Après la valse aux flambeaux
On chasse les musiciens
Avec des cris de corbeaux

C'est l'heure où les mages noirs
Se grisent de poudres fortes
Et couvrent de feuilles mortes
Le sang caillé des ciboires

C'est l'heure où les enfants mâles
Les reins sanglés d'un cilice
Sont traînés vers Saint Sulpice
Dans la fraîcheur des eaux pâles

                     Par la voie de la main gauche
                     Je débauche, je débauche
                     Les démons qui me tourmentent
                     Ceux qui trichent, ceux qui mentent


                                                                   CV sept14

















samedi 9 août 2014

La Maison Maure



Quand Marco venait dans la Maison Maure
Sur le sol glacé du grand corridor
Il allait glisser comme un cygne noir
Cherchant son image au creux d'un miroir

Quand Marco dansait sur du fandango
Comme un papillon qui se joue des flammes
Avec la ferveur envoûtée des femmes
Et le regard dur qu'ont les hidalgos

Sa robe moirée couleur d'amarante
Caressait sa peau d'ambre libertine
Les plis de la soie sauvage et mutine
Frôlaient de ses reins la courbe affolante

De grands chandeliers éclairaient la salle
Et quand les regards le prenaient pour cible
Plus il se donnait pour inaccessible
Plus le feu couvait dans les yeux des mâles

Marco s'enroulait ramenant ses voiles
Autour de son cœur comme sous l'étoile
S'endort une fleur et dans un soupir
Un oiseau blotti qui vient s'assoupir


Etait-il Orphée rêvant d’Eurydice
Chevalier d'Eon ou Farinelli ?
Sous ses longs cheveux, sous ses maléfices
Combien de passions, combien de folies !

Quand Marco aimait, il sentait la poudre
Il partait chasser la fleur au fusil
Mais c'était sur lui que tombait la foudre
Il croyait saisir, il était saisi

Il avait les yeux d'un loup aux abois
Mais la voix trop douce et la chair trop tendre
Il avait jeté son manteau sur moi
Je devait le suivre et sans plus attendre


Nous avons grimpé jusqu'à la mansarde
Sous l'éclat de lune infiltré du toit
Quand n'y tenant plus j'arrachai ses hardes
Je sentis sa peau frémir sous mes doigts

Marco se dressait comme un guerrier nu
Ainsi les gaulois qui le poing tendu
Montaient à l'assaut du lit de César
Pour venger l'honneur des amants barbares


Et l'instant d'après Marco se lovait
Réveillant en moi les feux les plus fauves
Et je me souviens comme il ronronnait
Quand d'un coup de reins, j'entrais dans l’alcôve


Etait-il amant, était-il amante ?
Mes mains sur son corps hésitaient encore
Les jardins secrets sont ceux qu'on déflore
Et de l'eau qui dort viendra la tourmente


Marco s'endormait ravagé d'amour
Dans la chambre moite où l'air était lourd
Plongeant dans la nuit d'un sommeil factice
Parmi les relents d'opium et d'épices


Alors j'ai sur lui refermé les voiles
Et refait le geste en pliant la toile
D'une veuve indienne à l'instant fatal
Dressant un bûcher de bois de santal

J'ai versé sur lui des flacons d'essences
Des parfums de musc et de tabac blond
Des cuirs de Russie qui troublaient les sens
Et dont les vapeurs montaient au plafond

Puis j'ai aligné des bougies rituelles
Posées sur son corps dans les draps mouillés
Il n'a plus suffi que d'une étincelle
Pour que tout s'enflamme en un grand brasier

Au cœur de la nuit comme une torchère
La maison brûlait et dans la lumière
S'épuisait le bal des soldats du feu
Et puis l'incendie mourut peu à peu

Etait-il un elfe à jamais enfui ?
Un djinn insolent péri dans les flammes ?
Dans les reliquats de cendre et de suie
Sur des feux follets s'envolait son âme


CV 26 janvier 2014


vendredi 8 août 2014

La Fontaine aux innocents




Dans la fontaine aux innocents
Sur le coup de midi quand le carillon sonne
Les amants de Vérone et les mariés du jour
Au vent de leur amour jettent des ronds dans l'eau
Des monnaies de moineaux, des piécettes d'argent

De cuivre et d'étain blanc. Il y en a des centaines
Au fond de la fontaine. Ils semblent sommeiller
Midi les fait briller de mille éclats vermeils
Aux reflets du soleil, dans les remous de l'eau

Et comme un camelot qui brasse des promesses
Au bras d'une princesse il est des troubadours
Qui sèment de l'amour les serments écarlates
L'or volé d'un pirate, un trésor englouti


La fontaine est bâtie en marbre de Carrare
Ornée de nénuphars et sculptée d’angelots
Qui font jaillir de l'eau de poissons et d'amphores
Coulant de bord à bord dans les bassins versants


Vers la fontaine aux innocents
A la tombée du jour les oiseaux du quartier
Accourent en nuées des jardins alentour
Il en vient de partout, des arbres et des toits
Etourdis de rosée, tour à tour, ils se posent

Il y a des rossignols et des bergeronnettes
Des fauvettes grison et des chardonnerets
Qui plongent de la tête en secouant les vasques
Et font des vagues d'eau, fantasques, polissonnes


La petite marmaille agacée s'y chamaille
On se chasse de l'aile, on se pique du bec
On reprend sa querelle oubliée de la veille
Et vole plume à l'air et la volière va


La fontaine est bâtie comme un arbre de pierre
Et dans ses frondaisons l'eau de pluie recueillie
Par des angelots clairs en leurs paumes de marbre
Fait des bouquets de brume à perdre la raison


A la fontaine aux innocents
Sur le coup de minuit d’étranges pénitents
Faits d'encre et de fumée, de cendre et de brouillard
Se donnent rendez-vous dans la ville endormie
A l'heure où vont les fous s’enchaîner sous la lune


Des ombres de poupées au masque de faïence
Les menines fripées, des infantes défuntes
Des spectres de gamins flottant sur la rivière
Ou traçant de la main des signes à la craie


Ils vont en ribambelle en habit d'autrefois
Danser la ritournelle ou se livrer bataille
Sur des chevaux fluets pour des châteaux diaphanes
Et s'ils n'étaient muets on entendrait leurs rires

La fontaine est bâtie comme un grand carrousel
Que le temps ralenti a figé dans la pierre
Un manège immobile entouré d'ombres folles
Où des esprits subtils aiment rôder la nuit


Sur la place des Innocents
Bien avant la fontaine il y avait un couvent
On y donnait l'asile au nom de l'évangile
Et les sœurs de Saint Jean abritaient quelques heures
Des fils de huguenots pourchassés par des sots

La Saint Barthélémy y joua d'infamie
Le tocsin rassemblait des hordes d'assassins
Des cohortes de gueux qui fracassaient les portes,
Arrachaient les enfants aux bras qui les cachaient

Le massacre dura jusqu'aux heures de nacre
Et la nuit résonnait des clameurs et des cris
Puis le sang qui coulait des yeux des innocents
Fut lavé par la pluie qui noyait les pavés


La fontaine est bâtie pour conjurer les haines
Dont l'écho paie encore au diable son écot
Pour que l'eau qui ruisselle au front des angelots
Purifie les enfants des crimes qu'on leur fit



 Charles Valois Août 2014, in L'Assassin (travail en cours)





vendredi 11 juillet 2014

Les dagues douces




Où sont passées les dagues douces
Qui glissaient comme des murènes
Dans les limbes de la nuit rousse
Inexorables souveraines

Où sont les inquiétants sourires
Des poignards aux gorges d'acier
Que des fantômes émaciés
Cachaient sous leurs manteaux de cire


Fuyant de rue en rue comme à saute-ruisseau
Elles chassaient leur proie. Leur âme était si noire
Rien ne les reflétait dans l'ombre du miroir
Elles frappaient au vif les naïfs et les sots

Elles cueillaient la nymphe au sortir de son bain
Arrachaient l'ingénu aux bras de la luxure
Fauchaient le renégat, le menteur, le parjure
Et sevraient le bourgeois du surplus de son bien

Lame de peu de foi sans attache et sans loi
Dont le corps adulé, tendu comme une corde
Achevait les blessés d'un geste juste et froid
Sans qu'ils aient pu crier son nom : miséricorde !


Venues du fond des temps, où sont les lames pures
Du sang de celles qui, sur les champs de bataille
Allaient se fracasser sur le fer des armures
Pour la gloire d'un roi, au pied d'une muraille


Où sont passées les dagues douces
Qui glissaient comme des murènes
Dans les limbes de la nuit rousse
Inexorables souveraines


Si furtives qu'à peine on aurait dit des armes
L'Eustache au cœur d'acier, au manche en bois de charme
Qui sautait sans un bruit dans la main des apaches
Et tranchait dans le rouge avec un air bravache

Le treizain du marlou, le surin du voleur
Qui pour trouver fortune équarrissait les heures
Navaja l'espagnol, aussi glacé qu'un marbre
Large comme la main et tranchant comme un sabre

Le stylet malicieux à la pointe acérée
Qui filait droit au cœur et venait s'y figer
Et Kriss le malaisien, sa lame flamboyante
Laissait dans les chairs nues des marques effrayantes

Toujours prêts à bondir d'un pourpoint, d'une chausse
Pour abattre un tyran, basculer dans la fosse
Les destin des nations, récrire avec du sang
L'histoire abasourdie des peuples innocents


Où sont les inquiétants sourires
Des poignards aux gorges d'acier
Que des fantômes émaciés
Cachaient sous leurs manteaux de cire

Couteaux de marins saouls rouillés à l'air du port
Lames d'acier trempé d'un pur métal de mort
Forgées par des voyous, possédées par des fous
Gainées de soie sauvage ou de cuir de Cordoue

Il en est dont le fil est si sobre et subtil
Qu'on meurt sous leurs baisers sans s'être vu blessé
Il en est dont la taille est si rauque et si vile
Qu'elle mord dans la plaie sans jamais se lasser


Certaines sont ornées de fines arabesques
Les mots d'une prière ou ceux d'un chant mauresque
D'autres portent parfois sur une mitre ovale
Gravée comme un totem : une queue de crotale


Filles du maléfice, où sont les lames brunes
Qui savent lire en creux les messages des runes
Et l'athamé traçant de sombres pentagrammes
Dans la cendre de buis pour le repos des âmes



Où sont passées les dagues douces
Qui glissaient comme des murènes
Dans les limbes de la nuit rousse
Inexorables souveraines


Où sont les inquiétants sourires
Des poignards aux gorges d'acier
Que des fantômes émaciés
Cachaient sous leurs manteaux de cire


Charles Valois Juillet 2014 (L'Assassin)

samedi 19 avril 2014

Petite lumière



Te souviens-tu Petit'lumière
Quand on plongeait dans la matière
A la fin du temps des volcans
Dans un air encor suffocant
De vapeurs d'eau de feu de fer

J'ai tant aimé l'odeur des chaumes
Et le soleil sur ma peau nue
Quand je courais vers l'inconnu
Dans l'immensité du royaume

Tant aimé le chant des sirènes
La voix des amours fracassantes
Où nous avons brisé nos chaînes
Pour en forger de plus puissantes

Si difficile et si facile
Le temps nous a paru sans doute
Trop court le long de cette route
A peine un battement de cils

Te souviens-tu Petit'poussière
Quand nous marchions vers la lumière
Nous avancions les yeux fermés
Pensant trouver un dieu armé
Qui parlerait d'une voix forte
De l'autre côté de la porte

J'ai tant aimé les cathédrales
La fumée bleue des encensoirs
Et les paroles qui s'exhalent
Dans le murmure inquiet du soir

On tremblait de froid et de peur
L'air était trouble et le ciel noir
On croyait voir une lueur
On s'accrochait à cet espoir

Si difficile et si facile
Le temps nous a paru sans doute
Trop court le long de cette route
A peine un battement de cils


                                                                                                          Charles Valois avril 2014

Les Cailloux Cassés



On n'est que des cailloux cassés
Jetés dans le fond du fossé
On 'était pas taillés pour faire
              Carrière
Des cailloux de Petit Poucet
Qu'on a semés dans la forêt
Et qu'on n'a jamais ramassés
               Après

Pas des cailloux de prétentieux
Qui voudraient grimper jusqu'aux cieux
Pour y bâtir des cathédrales
               Astrales
Pas des cailloux de pacotille
Qui font briller les yeux des filles
Mais qu'elles s'en iront mettre au clou
             Pour trois sous

On n'est que des cailloux cassés
Jetés dans le fond du fossé
On n'était pas taillés pour faire
              Carrière
On est des cailloux cabossés
Par les coups qu'on n'a pas choisis
Et puis par ceux qu'on a donnés
               Aussi

Pas des cailloux de grand chemin
Ceux qui ont du sang sur les mains
Qui ont du tremper dans des affaires
              Pas claires
Pas des cailloux bien polissés
Dont les gamins se sont lassés
De faire des ricochets dans l'eau
               Des ruisseaux

On n'est que des cailloux cassés
Jetés dans le fond du fossé
On n'était pas taillés pour faire
              Carrière
On est de cailloux ordinaires
Ceux qui dorment au fond des rivières
Usés par le courant qui passe
              Et brasse

Mais ces cailloux de rien du tout
Qui font des trous dans vos chaussures
Et qui viennent rayer vos voitures
               C'est nous
Ceux qui rêvent les soirs de débine
De pouvoir bloquer la machine
Avant qu'elle les mette à genoux
             C'est nous

On n'est que des cailloux cassés
Jetés dans le fond du fossé
On n'était pas taillés pour faire
             Carrière

                                                                                       Charles Valois Av 2014